La nuit est sans doute le moment que je préfère dans ce qu'on appelle une journée. C'est le moment où je suis libre de toute contrainte, loin de cette prison sage qu'est le pensionnat où j'ai atterri. Ce soir, c'est samedi soir, et ce soir c'est mon soir de congé. Une vieille ruse du boss du club pour attirer autant de clients le samedi (les nouveaux venus) que les autres jours (les habitués quoi.) Et donc, ce soir, je sors. Je ne sais pas comme je vais me débrouiller pour aller en ville jusqu'à cette foutue boîte unique mais je me démerderai, je me démerde toujours. Alors ma belle, comment tu vas faire ton show ce soir? Mary-sue ou bien Vavoum, il faut choisir. C'est haut près du corps à manches longues moumoute tondue sur un innocent mouton et minijupe, un brin de talons au bout de mes bottes et un regard cendré mais pas trop. Ouais, la parfaite catin pour le soir, bah! Après tout c'est un déguisement, n'est-ce pas? Vingt-deux heures, je ne sais pas quand le couvre-feux va tomber. A vrai dire, je m'en fous. Je choppe la pochette que j'ai chouré à une pouf, ou plutôt à son mec hier soir au club et j'y fourre mes clopes, un briquet un rouge et des ballerines, sait-on jamais que mes pieds me trahissent ! Saloperies.
Je sors en catimini, mes bottes à la main. Le carrelage du pensionnat est froid, il fait pas franchement très bon à l'intérieur un soir d'hiver, alors je me dépêche de passer par la trappe pour handicapés (l'ascenseur quoi) et filer à l'italienne par la porte d'entrée principale (ben quoi, elle est grande ouverte!) Une fois le pied dehors je cours une bonne centaine de mètres pour rejoindre la route et je signale clairement que je fais du stop, et non pas le tapin (non parce qu'avec mon costume de putewoman on pourrait se poser des questions.) et je grimpe dans le premier zingue qui a la bonté d'âme de s'arrêter à ma hauteur. Direction LOS ANG... *tousse* le centre ville s'il vous plait. Le mec est un type sympa, autours d'une clope et d'un feu rouge il me raconte sa galère quotidienne et même s'il louche sur mes cuisses il me dépose à bon port en me laissant son numéro. Bah, je prends ça peut toujours servir, et la ville me tend les bras. La première boîte que je vois sur mon chemin est sûrement la seule, alors je rentre en faisant une oeillade au videur et vais poser mon derrière près du bar, une moue "j'ai soif et je suis à sec" sur le visage, comme planté en guise d'appel au secours. J'espère qu'un pigeon, ou du moins n'importe qui d'à peu près potable me proposera un verre, même un jus de fruit, je ne vais pas me trémousser avant d'avoir bu quelque chose, non mais!
La musique est agréable, enfin, pas assourdissante, un brin trop machine à laver et voix de mal-baisée qui murmure des trucs en anglais que je ne comprends même pas mais ça suffit pour que les clampins se trémoussent, alors je reste dignement le dos au bar, mes gambettes croisées au niveau des cuisses, attendant quelqu'un. J'espère qu'il va pas tarder, parce que dans dix minutes je glisse dans la catégorie des "allumeuses videuses de porte-feuille" si je trouve pas un gentil garçon, ou même une gentille fille pour passer la soirée tranquillement.